perdu

Jack marchait le long des tombes en faisant bien attention à ne pas tomber dans un trou ou réveiller un mort. Ca pourrait être dangereux (de rencontrer un mort qui ne vous veut du mal). Enfin, Jack s’était retrouvé là, errant, toujours à la recherche d’Oli, mais ne sachant même pas où le faire. Alors il était allé dans ce cimetière, avec l’absolue incertitude de ne rien trouver. Ou pas. Il faisait presque nuit, cela faisait plusieurs jours que Jack marchait dans cette partie de l’île, comme ça, et il en avait, comment dire, un peu marre. Pas une âme à l’horizon, pas une aide aux environs, Jack ne savait que faire. Peut-être devrait-il abandonner sa quête, car il est fort probable qu’Oli soit parti vers d’autre cieux ou lieux, ou peut-être bien qu’il n’a jamais existé, tout simplement.
Jack se posa un instant contre une pierre tombale et sortit de sa besace sa gourde. Il but les quelques gouttes qui vasaient au fond et attrapa le quignon de pain rassis qui traînait dans la besace. Il pesta contre son manque de prévoyance, et se jura de voler un peu plus la prochaine fois, pour s’acheter un peu plus (pourquoi pas un bateau, qui sait ?). Un petit craquement se fit entendre. Il aurait pu passer inaperçu n’importe où ailleurs, mais dans un endroit aussi vide de tout que ce cimetière, il apparaissait aussi suspect qu’un chat dans une souricière. Jack n’arrivait pas à discerner la provenance du bruit, si c’était derrière lui, sur les côtés, ou même devant lui, vu l’obscurité prégnante. Il décida donc de ne pas se retourner, pour ne pas réaliser le cliché général des mauvais films de sa réalité.

**voilà, j'espère que ce n'est pas trop court...**

Clotilde errait à travers la plaine déserte, faute d'avoir trouvé une activité plus intéressante. Elle repensait à ses aventures des jours précédents, réexaminant chaque scène et réfléchissant à ce qu'elle aurait du faire.
Elle marchait d'un bon pas, laissant l'empreinte de ses semelles dans le sol humide, sans se soucier de la boue qui peu à peu venait salir le bas de sa robe noire.

Au bout de quelques kilomètres, elle arriva dans un vieux cimetière plus ou moins abandonné. Son estomac vide depuis la veille commençait à se manifester, mais tuer un corbeau pour le faire rôtir au milieu des tombes ne l'inspirait pas plus que ça. Par contre, la probabilité de croiser quelqu'un de vivant ici était... faible. D'ailleurs c'était bien pour être tranquille qu'elle était venue dans ce coin.

Elle se laissa tomber assise, dos contre une tombe, et sortit d'un repli de sa robe, qui s'avérait être une poche, une poignée de bijoux variés qu'elle avait récupéré dans un château pendant qu'elle était sur le chemin. La porte n'était même pas fermée, et récupérer les bijoux de la maîtresse de maison avait été un jeu d'enfant sans réel intérêt. Mais c'était toujours bon à prendre.

Elle contrôlait la qualité des perles du plus gros collier lorsqu'un mouvement aux limites de son champ de vision attira son attention. Elle releva le nez et constata avec stupeur que quelqu'un ou quelque chose était assis dans la même position qu'elle, 4 tombes plus loin, légèrement sur la droite. Difficile de dire s'il s'agissait d'un humain avec la nuit qui tombait rapidement.
Sans un bruit elle se releva et passant derrière les tombes pour ne pas être vue, elle se rapprocha de l'inconnu. Par sécurité, elle sortit son arme et la pointa sur ce qui semblait finalement être un homme plutôt jeune.

"Qu'est-ce que vous faites là?"

Elle s'était levée, bien visible dans ce qu'il restait de lumière, et le menaçait, le canon de l'arme bien rempli et le cran de sécurité ôté. Mieux vaut être trop prudent que pas assez. Sinon on finit comme tous ces macchabées. Et pour l'heure, Clotilde avait mieux à faire que de se faire ronger par des verres au fond d'un cercueil.

Jack déglutit un peu trop bruyamment au contact froid du canon de l’arme qu’une jeune fille, pointait sur son cou, et faillit s’étouffer avec son dernier quignon de pain rassis. Elle avait un regard dur, et tenait un collier de perles à la main. Si cette apparition ne le menaçait pas d’un flingue, Jack aurait pu apprécier la beauté de la vision, et même croire que la mort venait le chercher (ce qui pouvait toujours être le cas).

Alors Jack ne décida toujours pas de bouger, ni de répondre. Il lui fallait réfléchir à toute vitesse : ne pas répondre de travers, mais si c’était une question rhétorique ? Elle avait l’air nerveuse, le moindre faux-pas et c’était le Sayon ara assuré. Et Jack n’était pas encore tout fait prêt à mourir. Juste, pas tout à fait.
Jack se décida enfin à répondre :

Euh… Je ne sais pas, et vous ?

Jack s’était dit que jouer la carte de l’idiot du cimetière pouvait toujours le faire, et perpétuer la « conversation ». Autant dire reculer l’instant d’une mort qui pouvait devenir statistiquement plus probable secondes après secondes.

L’espèce d’apparition le dominait de toute sa hauteur, et Jack encore une fois se demanda ce qu’il fichait là. Il y avait des champs, des étendues vertes sur cette île, et lui perd son temps dans les cimetières à risquer sa vie !

Et puis quoi, Jack n’en pouvait plus, il décida de se lever, on verra bien si elle tirera. Alors il se leva, d’un coup.

Il avait pris son air de dur (enfin le croit-il, parce qu'en vrai il avait les chocottes), genre "me cherche pas des noises, parce que même si tu pointes un pistolet qui m'a l'air bien chargé sur moi, je peux toujours sortir mon méga-fusil de la poche, ok!" (Mais il ne prit pas le risque de le dire, il se contenta de le penser, pas suicidaire le Jack quand même)

Ce qu'elle faisait ici ? Mh... Elle s'éloignait des crétins dans son genre. C'était un échec, de toute évidence. Elle le regarda sans bouger et sans baisser le canon de son arme. Il n'avait pas l'air particulièrement dangereux. Stupide, peut-être, mais pas dangereux. Le genre paumé, plutôt.

Elle envisageait presque d'éloigner la menace directe que représentait le revolver pour le jeune homme lorsqu'il se leva brusquement et sans prévenir. Avec une rapiditié fulgurante elle attrapa dans sa botte une poignard d'une dizaine de centimètres et le pointa sur le ventre de l'inconnu. S'il tentait d'avancer d'un seul pas, elle le transformerait en passoire sans la moindre hésitation. La sécurité avant tout. En fait, elle était persuadée qu'il ne représentait pas une vraie menace, la faute peut-être à la lueur affolée qui dansait au fond de ses yeux. Elle jeta un bref regard au collier de perles qui avait valsé au sol lorsqu'elle avait attrapé le couteau. Pourvu qu'il n'ait pas trop souffert, ça valait cher ces petites choses là.

Clotilde regardait le jeune homme attentivement. Il était plutôt beau garçon, un peu moins de 20 ans à première vue, pas vraiment l'air d'un guerrier. Pas franchement le genre à trainer dans un cimetière désert à la tombée du jour. Etrange.

"Rasseyez-vous. Qui êtes-vous ?"

Son ton s'était adouci. Ce n'était pas la faute de ce garçon si elle n'avait pas été assez prudente avec la dernière personne qu'elle avait rencontré. Tout le monde n'est pas un vampire psychopathe. Et puis celui-ci avait l'air bien trop vivant pour être une de ces créatures. Un domestique qui avait fui le château, peut-être ? Pas la peine de le traumatiser. En revanche, s'il venait bien du château et reconnaissait les bijoux volés, il deviendrait un témoin encombrant, et il faudrait l'éliminer...

Jack sentit la pointe du couteau, prêt à lui ouvrir le ventre en deux mouvements. Comme il n’était pas si stupide, il décida de ne pas bouger, et se dit même qu’il valait mieux obéir à l’injonction de la jeune femme, peut-être parce qu’elle était armée et l’air pas tranquille. Aussi, il s’assit. Quelque chose à se reprocher ? Jack, malgré sa peur, avait vu comment elle regardait le collier de perles, surtout lorsqu’il tomba au sol. Et, de tout évidence, l’apparence extérieure de la fille ne donnait pas l’impression de penser que le collier allait avec elle. Il était de trop riche facture, et semblait assez gros pour valoir quelques milliers de kopecks.

Valait mieux pour Jack de continuer à jouer son rôle de paumé, il en saurait un peu plus sur le personnage, d’autant plus qu’elle avait l’air d’avoir pas mal voyagé (peut-être pourra-t-elle l’aider ?)

Son ton se radoucit lorsqu’elle répéta la question, et Jack se mordit pour ne pas reproduire la réponse qu’il avait faite précédemment. Même dans les pires situations, Jack arrivait toujours à garder son humour. Mais là, il ne sait pas pourquoi, il sentait que cela ne ferait pas rire la jeune fille. Il eut un léger sourire à l’évocation de cette vision.

Mais pourquoi devait-il répondre à cette question ? Après tout lui-même était dans son bon droit. Ce cimetière n’était la propriété de personne. Chacun peut y faire ce qu’il veut avec qui il veut (même des cadavres), non ? Jack ouvrit donc la bouche pour dire l’essentiel de ses pensées :

Je m’appelle Jack Rousseau. (mais la pointe du couteau et du canon pointé sur lui l’invitèrent à ne pas trop la chercher et par là, éviter les récriminations qui doivent être inutiles avec elle)
Et j’aimerais bien pouvoir vous retourner la question.

Jack commençait à se ressaisir, et réfléchit sur les objets qui l’entouraient, voir lequel pourrait lui permettre de fuir. Et peut-être même inverser le sens de la menace. Le léger sourire qui ne l’avait pas quitté se transforma en rictus.

L'inconnu qui n'en était plus un avait choisi de vivre. Comme pour la plupart des gens, avoir deux armes pointées dans sa direction donnait tout de suite envie d'obéir à celui qui avait le doigt sur la gachette.
Histoire de rééquilibrer un peu le rapport de force, au moins en apparence, elle rangea le couteau dans sa botte. Puis elle recula de deux pas, se pencha sans baisser les yeux pour récupérer le collier qui disparut dans un repli de sa robe et s'assit à son tour, sur une tombe juste assez éloignée pour être à l'abri s'il l'attaquait à mains nues.

"Spark. Clotilde Spark"

Après avoir passé des années à dissimuler son vrai nom et à s'inventer diverses identités, Clotilde avait décidé que puisque de toute façon elle n'avait ni adresse ni famille, donner son véritable nom n'était pas susceptible de lui nuire à elle ou à qui que ce soit d'autre. Et puis si quelqu'un avait besoin d'elle pour un vol organisé, elle était plus facile à retrouver que quand chaque personne la connaissait par un prénom différent.

Elle gratta une petite tache sur la crosse de son revolver en surveillant Jack d'un oeil, au cas où il aurait eu de mauvaises intentions.

"Vous n'avez pas répondu. Pourquoi êtes-vous venu ici ?"

En vérité, cela lui importait peu. C'était histoire de... faire la conversation. Mais surtout c'était pour l'empêcher de se concentrer. Pour empêcher un ennemi de trouver le moyen de vous coincer, la meilleure solution est de le perturber en lui parlant et en posant des questions.
Le garçon n'avait pas l'air agressif, mais elle sentait qu'il était capable de se battre. Ca n'était manifestement pas un voleur, et il n'avait pas l'air d'un domestique ainsi qu'elle l'avait cru. Un pirate, peut-être ?

Elle s’assit sur une vieille tombe, et dit s’appeler Clotilde Spark. Elle semblait fatiguée. Réellement fatiguée. Et semblait surtout sincère.

Jack ne sut que répondre. A vrai dire, il ne savait pas lui-même pourquoi il était venu dans ce trou perdu. Enfin, il savait, pour retrouver Olivier. Mais pourquoi ce lieu précis, il ne le savait pas. Il le lui dit. Il s’emmêla les pinceaux dans sa phrase, il l’avait l’air vraiment stupide, mais Jack avait l’habitude. Et puis il voyait que cela intéressait peu Clotilde, qui avait la tête dans ses songes.

Jack n’avait plus envie de se battre, il sentait la menace éloignée. Du moins pour un temps.

Et vous, que faites vous là ?
Vous n’avez pas l’air très …

Jack cherchait le mot, il ne le trouvait pas (forcément, puisqu’il le cherchait). Ce qu’elle était, il ne saurait le définir.

Clotilde souffla par le nez un petit vent énervé qui écarta de devant ses yeux une mèche de cheveux téméraire.

"Mais c'est pas vrai enfin. Je vous demande depuis tout à l'heure ce que vous venez faire là, et à chaque fois vous me renvoyez ma question. Faut-il que je vous rappelle que c'est moi ici qui ai un flingue ou est-ce que c'est pas la peine?"

Machinalement elle sortit le collier de sa poche pour examiner les perles de plus près. C'était un collier de très bonne facture, elle avait eu du flair quand elle l'avait pris parmi les nombreux bijoux. En le revendant, elle en tirerait bien quelques semaines d'hôtel. Ou alors elle ne le revendrait pas, elle le mettrait de côté au cas où elle trouverait un mari convenable. Clotilde sortit de sa rêverie, l'autre n'avait toujours pas répondu.

"Vous savez, si vraiment vous ne voulez pas répondre, je m'en fiche. Mais dites le clairement, qu'on en finisse. D'ailleurs, je vais ouvrir le bal : je cherchais un endroit où être au calme, visiblement c'est raté, et où passer la nuit, et c'est également mal parti, je dors très mal sur du marbre, trop dur pour mon dos délicat vous comprenez ?"

Et blah et blah et blah. Elle devenait bavarde ces derniers temps, une vraie pipelette. Ca devait être le soulagement de parler à quelqu'un qui avait l'air à peu près normal, en tout cas nettement moins dérangé que le vampire qu'elle avait fui à l'auberge. En plus, il avait peut-être un plan pour dormir quelque part, voire, on peut toujours rêver, une chambre d'amis dans un luxueux palais d'or et de diamants. Peut-être.