Acrobaties alpinistes [ Judas - Shoula ]

Des choses ahurissantes, j'en avais vu. J'en avais même vu un sacré nombre, depuis que j'avais quitté le berceau désertique. Des phénomènes inexplicables, des paysages magnifiques, des créatures surprenantes... Mais des montagnes flottantes, ça ! Du jamais vu, foi de Moé.

Les montagnes étaient là, sous mes pieds. Lambeaux de rocaille et d'humus arrachés à leur socle terrestre. Et elles volaient, inexplicablement, elles lévitaient à quelques mètres du sol, je les senstais gronder et vibrer sous mes pieds. J'entretenais déjà auparavant l'intime conviction qu'une montagne était vivante, comme tous les éléments qui m'entouraient. J'en étais aujourd'hui plus sûre que jamais, à cette simple sensation, indescriptible, dans mes jambes, dans mon corps tout entier.

« Et voilà de quoi rallonger le long catalogue des mystères de ce monde » me marmonnai-je à moi-même.

Comment étais-je arrivée ici ? Je n'aurais su le dire. Je m'étais réveillée le matin-même dans une forêt tout ce qu'il y a de plus ordinaire et m'étais rapidement mise en route afin de réchauffer mes membres enkylosés par la fraîcheur sylvestre. J'avais marché de longues heures, comme à mon habitude. Mes journées étaient majoritairement remplies de marche, de longues traversées, durant lesquelles un florilège de paysages défilait sous mes yeux. Mes jambes se faisaient de grandes bouches qui engloutissaient goulûment la distance, me menant quelque part sans doute, mais je n'aurais su dire où. La route m'habitait autant que j'habitais la route. J'étais plongée dans mes réflexion lorsque soudain, je m'étais retrouvée devant cette merveilleuse aberration de la nature. Sans m'en rendre compte. Comme s'il s'était agit d'une apparition soudain.

Je m'en étonnai encore quelques instants. En aurais-je eu les moyens que je me serais immédiatement glissée sous terre ( si l'on peut dire ), dans les entrailles des montagnes, afin de comprendre quel incroyable mécanisme les animait ainsi. Faute de quoi, je décidai de me lancer dans l'ascension de l'une d'entre elles. Un lieu aussi extraordinaire ne pouvait après tout que receler de nombreuses surprises.

Je commençai par longer les bordures et me lançait dans un curieux duel avec le vide. Là, à un mètre de moi, il n'y avait plus rien. Toute chute me vaudrait assurément de m'écraser plusieurs mètres en contrebas. En équilibre, j'avançai doucement, foulée par foulée, me complaisant dans ce funambulisme. Rien de tel que le vide à portée de main pour vous sentir plus léger. Je n'étais par ailleurs nullement atteinte de vertige, bien au contraire : le vide m'attirait.

J'avais les jambes agiles, et progresser ainsi le long de l'arrête eut semblé suicidaire, néanmoins je m'en acquittais relativement bien. Arrive cependant toujours un moment où un imprévu entre en compte - c'est après tout ce qui donne à la vie son piquant. Je me serais pourtant passée avec plaisir de la racine, presque indécelable, qui me fit trébucher. Une terreur sourde me prit immédiatement au ventre, réduisant à néant toute l'assurance fière que j'avais à pouvoir jouer les funambules sans encombres. Je perdis l'équilibre et vacillai dangereusement vers le vide. Si l'on prétend que les scènes critiques se déroulent au ralenti et que l'on a le temps de voir sa vie défiler dans son crâne, je prétends le contraire : tout fut d'une rapidité effrayante. Je tombai. M'accrochai comme je pouvais à n'importe quoi, avec mes jambes, mes bras. Trouvai un appui. Me tortillai et finalement, au prix de gros efforts, finissais enfin par regagner "la terre ferme" et m'allongeai lamentablement au sol, reprenant mes émotions.

Judas se promenait.
Depuis deux ans.
Comme le capitaine n'était visiblement nulle part sur le navire, le génie avait décidé d'aller le chercher, et de le ramener, par la peau des fesses s'il le fallait. Il avait visité toutes sortes de lieux plus ou moins terrifiants, goûté à une centaine d'alcools différents et conclus que, vraiment, il n'y avait pas mieux que le rhum. Il avait un peu espéré retomber sur Aphrodite, génie des Aquatiques, mais elle semblait s'être volatilisée avec son clan. Bref, l'expédition, à part d'un point de vue alcoolisé, était un échec.

Il se baladait d'un endroit à un autre, disparaissant et réapparaissant dans des nuages de fumée colorée parfaitement superflus mais qui faisaient toujours sensation.

A son grand regret, lorsqu'il se matérialisa au milieu d'une vapeur arc-en-ciel du plus bel effet, personne n'était là pour l'applaudir des deux mains, ou même pour partir en hurlant, cela arrivait parfois quand il tombait sur quelqu'un de peu habitué. Mais là, vraiment personne, à part un serpent qui déguerpit sans demander son reste, terrorisé par ce déferlement de couleurs et de plumes.

Judas jeta un oeil autour de lui. Pas mal, pour un caillou volant. La montagne méritait qu'on y fasse un tour, ce qu'il fit sur le champ. Il se balada quelques minutes au milieu des rochers, monta sur un roc plus élevé que les autres, dans l'espoir un peu vain de découvrir une habitation ou un quelconque sens de présence plus ou moins humaine. Il fallait pourtant se rendre à l'évidence. L'endroit était désespérément vide, un vide qui le gagna et qu'il lui fallut combler au plus vite avec du rhum. Le génie avait toujours une fiole sur lui, une fiole qui ne se vidait jamais de sa confection, et dont il ne se féliciterait jamais assez. Il était donc en train de boire tranquillement, adossé à un arbre et réfléchissant à sa prochaine destination (un endroit avec des filles et des tavernes, si possible) lorsqu'il entendit un grand cri.

D'un pouf (Pouf !) il disparut.
Un second pouf (Pouf !), et il était debout à côté de ce qui semblait être une fille pas bien grande et pas bien rassurée non plus. Le génie passa la main dans ses cheveux emplumés, vaguement perplexe. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire là ? Il n'y réfléchit pas trop longtemps, la présence d'une jeune femme ici était beaucoup trop réjouissante pour oser se poser des questions. Il fit apparaître un grand verre de jus de fruit rouge et jaune, palmier en papier inclus. Tout était dans les détails. Dans le doute, il était parti sur du sans alcool, la fille avait l'air un peu jeune pour boire. Ceci dit, plus les siècles passaient et plus les jeunes semblaient se mettre à l'alcool tôt. Ce qui à son (pas très) humble avis n'était pas une si mauvaise chose, l'alcool n'ayant jamais fait de mal à personne.
Sans attendre une quelconque réaction, il tendit le verre à la jeune fille dans une révérence magistrale et jusqu'au sol, qui fit disparaître son visage derrière un rideau de plumes et de cheveux.

"Judas Krysth, pour vous servir. A qui ai-je l'honneur ?"

"Judas Krysth, pour vous servir. A qui ai-je l'honneur ?"

« Je m'appelle Moé »

« Très impressionnante votre apparition soudaine. Ça se fait beaucoup par ici ? Je ne voudrais pas paraître dépassée la prochaine fois que quelqu'un surprendra mes funambuleries désastreuses »

Ohoo. Le smoothie fait presque maison semblait être un succès. Ca n'était pas une grande surprise, mais il y avait peu de choses que Judas aimait plus que l'admiration des autres. Surtout si les autres étaient des filles.

"Oh non il n'y a que moi ici qui sache faire ça."

Il pencha la tête de côté, comme pour réfléchir. En fait il savait déjà ce qu'il allait dire, mais estimait qu'une petite pause théâtrale était la bienvenue.

"D'ailleurs il n'y a que moi tout court."

Nouvelle pause. Le silence était un art délicat. Trop peu de silences et l'on passait pour une pipelette, trop de silence et l'on passait au mieux pour quelqu'un de très timide, au pire pour l'idiot du village. Ceci dit, après quelques siècles de pratique, Judas se targuait de maîtriser parfaitement le sujet. Silence, donc, et mine absorbée de circonstance.
Il regarda la jeune fille finir son verre, avec une satisfaction non dissimulée. Ceci dit, elle n'avait pas l'air de connaître la montagne et ne saurait donc probablement pas si par hasard le grandiose quoique minuscule capitaine Krey avait décidé d'installer son bivouac dans le coin. Il décida donc de remettre l'exploration de l'île à plus tard.

"Bon tu m'as l'air un peu trop secouée pour pouvoir reprendre ton escalade, on peut rester ici un moment. Ou alors je pourrais nous emmener directement en haut"

Oh, s'il te plaît, petite fille, dis oui, dis oui ! Si les apparitions et disparitions étaient toujours un succès, les déplacements de groupe soulevaient (littéralement) les foules. En plus, là haut il y avait de l'herbe et des rochers bien propres qui feraient des sièges tout à fait acceptables pour son génial postérieur.
Là où ils se trouvaient dans l'immédiat, c'était une autre histoire. La corniche rocheuse sur laquelle ils se tenaient faisait au grand maximum la taille de sa baignoire, et ne contenait bien sûr ni bulles, ni mousse, ni eau chaude, ce qui la rendait nettement moins agréable que la dite baignoire. Penser à tant de luxe lui fit réaliser qu'il faisait un froid glacial et que si son thermomètre interne de génie faisait un boulot fantastique (merci bien), la jeune fille, Moé apparemment, n'était que fort peu vêtue.

"Je peux te proposer quelque chose de chaud ? Un pull, une veste ? Un câlin ?"

Un immense sourire un peu moqueur éclaira son visage. Le génie enfonça négligemment ses mains dans ses poches et entreprit de calculer le nombre de pas qu'il fallait pour aller de la paroi rocheuse au précipice, fort rocheux lui aussi. 1, 2, 3, 4...

[nul part de précis]

Après le départ de Kami et Nathaël, Shoula dut faire un très gros travail sur elle même, perdre ainsi son frère n'était pas chose aisée, elle avait préféré penser à autre chose. Se concentrant sur les arts de son clan, elle avait passé son temps à étudier et était arrivée maintenant à un très bon niveau de magie et de connaissances. Pourtant, quelque chose lui manquait toujours. Elle s'était astreinte à rester dans sa forêt durant ces longues années afin de ne plus voir quoique ce soit qu'il puisse lui faire penser à son frère où à sa tendre amie disparue. Mais ce matin, c'était comme si son sang bouillait comme jamais. Elle tira les cartes qui lui apprirent que la roue du futur venait de tourner, que quelque chose allait enfin se produire...
Comment passer une journée stoïque après ça?

Elle décida donc de filer en douce de sa chambre et marcha vers l'inconnu, évitant pourtant soigneusement de prendre tout chemin qu'elle était susceptible de connaitre...Bah évidement elle s'était perdue, et là voici donc entourée de montagnes flottantes comme elle n'en avait jamais vues...

*Ouah, je me demande bien ce que grand frère en aurait penser...*

S'arrêtant, elle poussa un profond soupir essayant de chasser le poids qui pesait sur son cœur...sortir remettait à vif de vieilles blessures, et même si elle avait grandit, elle avait tout fait pour oublier, pas pour guérir...

Et c'est dans ses réflexions qu'elle se rendit compte qu'elle n'était pas seule, des bruits ressemblant à des voix s'élevaient pas loin d'elle.
Elle ne connaissait pas ces gens et les regarda d'un air ébahi tellement qu'elle trouvait le binôme étrange.

"Euh excusez moi? Je...je ne voudrais pas vous déranger mais....où sommes nous, je suis un peu perdue à vrai dire"

Ça ne voulait pas dire qu'elle voulait encore rentrer mais...secrètement, elle espérait que son frère soit de retour...et de toute évidence c'était aucun des deux donc il faudrait chercher ailleurs

Le jeune homme s'exprimait d'une façon aussi aisée qu'agréable. Inutile de préciser qu'il me faisait bonne impression. Il semblait prodigieusement au-dessus de toute contrainte et de tout souci, ce qui se voyait rarement. Avait-on idée, dans un tel monde, de vivre à la légère ! C'est pourtant ce que dégageait Judas, et ce n'était pas pour me déplaire. Je bus le contenu du verre en quelques gorgées désaltérantes. Lorsque ce fut chose faite, je pris le petit palmier en papier et l'accrochai dans mes cheveux. Ce n'était pas en mesure de rivaliser avec les nombreux accessoires capillaires de mon interlocuteur, et sans doute avais-je l'air parfaitement stupide, mais peu importait.

"Bon tu m'as l'air un peu trop secouée pour pouvoir reprendre ton escalade, on peut rester ici un moment. Ou alors je pourrais nous emmener directement en haut"

Nous emmener directement en haut, disait-il.
Je levai la tête d'un bref mouvement vers la montagne, imposante et verdoyante, qui semblait n'attendre que nous. Effectivement, une petite réunion au sommet n'aurait pas été de refus ! De plus, en compagnie d'un jeune homme bien surprenant. Il devait par ailleurs y avoir une vue imprenable au sommet de cette montagne. Non contente de voler à plusieurs mètres au-dessus du sol, elle était en plus assez haute.

« Pourquoi pas. Et quel genre de créature est capable d'aller "directement en haut" ? » tentai-je. Je penchais toujours pour un magicien, peut-être avec ( en plus de la capacité à faire apparaître des breuvages entre ses mains ) un pouvoir de téléportation, ce qui aurait expliqué l'apparition soudaine de tout à l'heure.

"Je peux te proposer quelque chose de chaud ? Un pull, une veste ? Un câlin ?"

« Quelque chose à me mettre sur le dos, ce ne serait pas de refus. Je n'ai pas l'habitude de la fraîcheur des montagnes ! »

Depuis que j'avais quitté le désert, j'avais enduré de nombreux climats, et n'avais jamais retrouvé cette chaleur que j'aimais tant. En l'occurence, j'étais effectivement légèrement vêtue. L'effort physique de la marche ayant pallié au froid dans un premier temps, je commençais maintenant à frissonner. Je m'attendais presque à le voir faire apparaître une veste de nulle part.

Durant la conversation, sans que j'y aie porté attention, une jeune fille s'était approché de nous. Ce ne fut que lorsqu'elle prit la parole que je remarquai sa présence.

"Euh excusez moi? Je...je ne voudrais pas vous déranger mais....où sommes nous, je suis un peu perdue à vrai dire"

Très jolie, elle avait ces traits fins et délicats qu'ont les jeunes filles au sortir de l'enfance. Elle semblait gênée, et arborait une moue délicieuse.

« Je n'ai aucune idée de l'endroit où nous nous trouvons » avouai-je à la jeune fille avec une mine enjouée. ( Quoi de plus fantastique que d'ignorer où l'on est et de se perdre volontairement dans le monde ? ) « Mais il est décidément surprenant. »

D'un claquement de doigts, Judas transforma le verre vide en un pull simple et chaud, de couleur noire passe-partout. Pas du tout le choix de couleurs qu'aurait fait Judas, mais la jeune fille était nettement moins colorée que lui. Peu de gens étaient plus colorés que lui.
Il n'avait pas transformé le verre, car ça lui était impossible (peut-être que si son maître le lui demandait, il pourrait le faire, mais personne ne lui avait jamais demandé de transformer un objet en un autre objet complètement différent. Les transformations en or étaient bien plus faciles, car elles ne demandaient pas de changement de forme mais seulement de matière). Il avait fait disparaître le verre et fait apparaître quasi simultanément le vêtement. Il était plutôt fier de lui-même, c'était assez réussi pour un premier essai.
Il tendit le pull à Moé.

"Tiens, ça devrait être à ta taille, si la couleur ne te plaît pas, tu peux échanger sous 15 jours sur présentation du ticket de caisse. La maison ne fait pas de remboursement."

Il se demandait si la jeune fille n'avait vraiment aucune idée de sa nature. On ne croisait pas des génies tous les jours, certes, mais dans la plupart des endroits où il avait voyagé, les gens avaient tous des légendes plus ou moins vraies à raconter à propos de ces drôles de gus qui exauceaient des voeux. Pour l'instant, il est vrai, il n'avait pas fait étalage de ses pouvoirs, pas trop en tout cas, et il aurait pu passer pour un simple magicien.

D'ailleurs peut-être qu'il devrait se présenter comme tel. La plupart des gens devenaient insupportables dès lors qu'ils savaient, et prononçaient des voeux absurdes à tout bout de champ, que le génie n'avait aucunement l'intention d'exaucer. Au début, pourtant, il s'était montré conciliant, avait inventé une histoire de nombre limité de voeux et rendait service aux personnes qui lui étaient sympathiques ou qui acceptaient de l'accueillir. Ayant découvert que non seulement cela ne suffisait pas à se faire accepter et qu'en plus on le mettait dehors sitôt les trois voeux obtenus, il avait tout bonnement cessé de se montrer serviable et provoqué quelques... menus incidents. Les réserves d'alcool, bien précieux, avaient tendance à disparaître à une vitesse inquiétante après son passage.

Moé avait l'air plus ouverte, plus raisonnable aussi, mais un peu de prudence n'ayant jamais tué personne et surtout pas un génie, Judas décida de lui dire ce qu'elle voulait entendre.

"Je suis magicien."

Tout à coup il entendit quelqu'un qui s'approchait. Incroyable la foule qu'il peut y avoir sur une île déserte, de nos jours. Il se retourna pour voir une fille d'apparence très jeune, probablement encore plus petite que le Capitaine, affichant la mine ahurie de celui qui ne s'attendait pas à croiser qui que ce soit. Et à l'entendre, qui ne s'attendait pas spécialement à être là non plus.

"Où nous sommes ? Eh bien, de toute évidence, sur une ridiculement petite plateforme rocheuse, quelque part sur une montagne volante. Aussi absurde que cela puisse paraître."

Il ne trouvait pas cela spécialement absurde, mais pour une fille à peine pubère qui ne connaissait visiblement pas grand chose au monde, ça devait l'être. Ce qui était absurde, en revanche, c'était de rester ici alors que le sommet était bien plus accueillant. Sans demander l'avis de qui que ce soit, il attrapa les deux jeunes filles par les poignets, et transporta tout ce beau monde en haut.

Le petit groupe émergea du néant dans un nuage rouge et jaune que Judas lui-même jugea d'un goût douteux. Il lâcha les deux filles qui allaient sûrement avoir besoin d'une poignée de secondes pour retrouver leur équilibre, et se laissa tomber sur un rocher plat tellement bien place qu'on aurait pu se demander s'il était vraiment déjà là une seconde plus tôt.

"Bien, maintenant que tout le monde a la place pour étendre ses jambes en plein, on va pouvoir passer aux présentations. Donc. Moi c'est Judas, enchanté, elle c'est Moé, et toi tu es ?"

Ces deux personnes semblaient plutôt sympathiques aux yeux de Shoula bien qu'un peu... extravagantes... Que cette jolie jeune femme qui semblait s'amuser de la situation où ce soit l'homme qui faisait apparaître et disparaître des choses à volonté

*Un génie peut être?*

Elle savait peu de choses sur les génies, seulement ce qu'elle avait étudié lors de ses années d'isolement. Attachés à un clan, ils ne pouvaient se servir de leur magie dans sa totalité que sur ordre de leur maitre. Mais de quel clan serait-il le génie? Elle ne savait guerre... D'ailleurs, elle se posa une question, elle ne se souvenait pas du génie de son propre clan... C'était quelque chose qu'elle se promit de voir plus tard.

Le génie répondit à sa question de manière plus...précise:

"Où nous sommes ? Eh bien, de toute évidence, sur une ridiculement petite plateforme rocheuse, quelque part sur une montagne volante. Aussi absurde que cela puisse paraître."

Humm...en fait elle n'était pas des masses plus avancée...elle allait demander plus d'explication quand il saisit son poignet à une vitesse vertigineuse et se sentit disparaitre et réapparaitre. Complètement désorientée, elle mit sa main sur sa tête, vérifiant que son diadème était toujours en place et essayant de voir si elle pouvait essayer de rassembler ses idées. Elle s'asseya pour faciliter le tout.

"Bien, maintenant que tout le monde a la place pour étendre ses jambes en plein, on va pouvoir passer aux présentations. Donc. Moi c'est Judas, enchanté, elle c'est Moé, et toi tu es ?"

"Je...euh...je m'appelle Shoula, enchantée Judas et euh Moé"

Reprenant quelques couleurs, elle souria à ses deux interlocuteurs avant de regarder autour d'elle

"Sympa le décor mais, si ça ne vous dérange pas, la prochaine fois, vous pourrez nous prévenir?"

Le dénommé Judas n'avait eu qu'à claquer des doigts, et me tendait l'instant suivant un pull chaud. Je me hâtai de l'enfiler et cessai aussitôt de frissonner. Non seulement, il l'avait fait apparaître de nulle part ( ce qui, entre nous, ne m'étonnait plus vraiment, j'avais compris que j'avais affaire à quelqu'un de peu ordinaire ), mais en plus, il ne s'était pas moqué de moi ! C'était un vêtement ample et très confortable, de quoi affronter tranquillement la terrible fraîcheur dont je n'avais pas l'habitude.

« Eh bien ! Je n'ai qu'un remerciement à t'offrir en retour, mais c'est de bon coeur. Tu m'épargnes sans doute un bon gros rhume. »

Le tutoiement avait toujours été une habitude, pour tout le monde ou presque, ce que l'on m'avait toujours beaucoup repproché. On ne se défait pas des vieilles habitudes... Je n'avais jamais considéré cela comme un manque de respect, bien au contraire. Cela permettait selon moi à une conversation d'être plus sincère.

A la question que je lui posai ensuite, il me répondit qu'il était magicien. C'avait été ma première conviction, néanmoins le terme de "magicien" me semblait à présent un euphémisme en ce qui concernait Judas.

J'avais rencontré de nombreux magiciens au cour de mon itinérance, qui, pour moi, se découpaient clairement en deux catégories : les magiciens de scène, les prestidigitateurs, les illusionistes, qui savaient répandre l'illusion autour d'eux comme une traînée de poudre, qui s'éteignait aussitôt après. Habiles de leurs mains, ils savaient émerveiller les habitants de leurs villages par leurs tours. Et puis, bien entendu, les magiciens à proprement parler, qui, d'une façon incompréhensible et extraordinaire, avaient été dotés de pouvoir. Je n'en savais que très peu à leur sujet, suffisemment néanmoins pour savoir qu'en général il n'avait guère plus que deux pouvoirs.

Chez Judas, c'était différent. Il y avait chez lui une incroyable aisance, une sorte de familiarité incroyable avec son pouvoir, comme s'il s'en amusait, comme s'il se trouvait dans un jeu, un défi perpétuel. Son aspect extravagant ( et seyant malgré tout ) ne faisait qu'ajouter à son personnage, et il semblait plein d'ironie. Du jamais vu, en ce qui me concernait, pour un magicien. Ceux que j'avais rencontrés se prenaient au contraire très au sérieux, et s'enorgueillissaient souvent de leurs dons. Sans doute Judas était-il... autre chose. Une sorte de troisième catégorie de magiciens. Je ne connaissais que très vaguement les créatures de ce monde, les possibilités étaient infinies. Néanmoins, j'étais certaine de moi sur ce point : s'il s'agissait bien d'un magicien, alors il avait quelque chose de spécial, de bien plus extraordinaire que tous les autres.

Mais quoi qu'il fût, je n'en avais que faire : ce que je savais avant tout, ce que le moment que nous allions passait s'avèrerait sûrement agréable ! Comment aurait-il pu en être autrement ? Sa nature m'importait peu, j'appréciais le personnage en lui-même.

Il renseigna la jeune fille sur notre localisation actuelle, puis, sans prévenir, saisit nos deux poignets fermement. L'instant d'après, nous étions au sommet. Je vacillai quelques secondes, prise par surprise et déstabilisée par le soudain changement de décor, et finis tout bonnement par tomber sur les fesses d'une façon qui devait être drôle à voir. Je souris malgré moi.

"Bien, maintenant que tout le monde a la place pour étendre ses jambes en plein, on va pouvoir passer aux présentations. Donc. Moi c'est Judas, enchanté, elle c'est Moé, et toi tu es ?"

"Je...euh...je m'appelle Shoula, enchantée Judas et euh Moé"

Shoula. La jeune fille s'appelait donc ainsi. Je la gratifiai d'un sourire.

« Ravie de faire ta connaissance, Shoula. Je n'aurais pas rêvé meilleur endroit pour faire une rencontre. Mais au fait, d'où venais-tu ? »

Tout chez elle émanait une certaine gêne, elle semblait mal à l'aise, peut-être un peu timide, ce qui recelait selon moi une certaine délicatesse ( quand on passe sa vie à foncer dans le tas sans réfléchir, on apprécie ces quelques subtilités ).

Je me tournai afin d'observer le panorama qui s'offrait à nous. La vue était impressionnante, sans doute n'étais-je jamais montée aussi haut. Toute la vallée s'étalait devant nous comme un long tapis verdoyant, creusé ça et là par quelques villages, quelques rivières. J'avais l'impression d'avoir le monde à mes pieds. Il y avait, dans le fait de s'élever, une certaine sensation d'invulnérabilité. Par ailleurs, moi qui avais toujours apprécié les paysages, j'étais servie.

La montagne elle-même était entièrement visible. En contrebas, un curieux animal dont je ne connaissais pas le nom escaladait la paroi avec une agilité déconcertante. J'avais décidément beaucoup à apprendre de ce genre de milieux. Je m'accroupis et observais chaque brin d'herbe, chaque caillou, comme si je m'attendais à en voir surgir quelque créature incroyable. Ce n'aurait été qu'une surprise de plus, et j'adorais être surprise.

"Sympa le décor mais, si ça ne vous dérange pas, la prochaine fois, vous pourrez nous prévenir?"

Je souris à la remarque de la jeune fille. Il est vrai que l'"atterrissage", si l'on pouvait dire, avait été... déstabilisant. Je me tournai vers Judas.

« C'est vrai que tu as fait très fort sur ce coup-là. Mais je crois que je commence à apprécier la montagne ! »

Je pris alors le petit palmier en papier issu de la boisson que Judas m'avait offerte quelques minutes plus tôt, que j'avais épinglé dans ma chevelure, et le plantait au sol, à la façon d'un drapeau, nous proclamant conquérants de cette montagne. Histoire de marquer le coup.

Judas regarda les deux filles reprendre doucement leur équilibre. Dans le cas de Moé, c'était relativement brutal, et "doucement" n'était certainement pas un terme approprié. Il eut un petit rire en la voyant retomber sur ses fesses. Lui-même se rappelait du temps où il finissait brutalement par terre après chaque déplacement. Il avait largement peaufiné sa technique depuis.

Shoula, donc. Ca lui rappelait vaguement quelque chose. Les pirates en parlaient de temps en temps sur le navire. Apparemment c'était la soeur de l'elfe de compagnie du capitaine. Il n'avait jamais croisé ni l'un ni l'autre, mais sa mémoire de génie se trompait rarement et il lui semblait bien que Shoula était le nom de la gamine. Ca pouvait être aussi une autre Shoula, mais ce n'était pas un prénom très courant. Peut-être qu'elle savait où se trouvait le capitaine Krey. Ce serait... providentiel.

Sans vraiment y penser, il attrapa la flasque de rhum pendue à sa ceinture et s'octroya une généreuse gorgée de l'alcoolisé breuvage.

« Ravie de faire ta connaissance, Shoula. Je n'aurais pas rêvé meilleur endroit pour faire une rencontre. Mais au fait, d'où venais-tu ? »

Ah. Quelle bonne question. Si elle pouvait répondre qu'elle venait juste de quitter Krey et l'autre elfe moins de 5 minutes auparavant, ça serait vraiment, vraiment fantastique. Il n'avait jamais vu le capitaine, mais pour une fois il était impatient de le rencontrer. Les matelots en disaient du bien, et il était paraît-il très petit, ce qui était une aubaine. Judas aimait beaucoup se sentir plus grand que les autres, c'était comme ça.

Il considéra Shoula, qui était elle aussi nettement plus petite que lui. Bon point. En même temps, à 14 ou 15 ans, c'était peut-être normal. Avec le temps il avait complètement perdu la notion d'âge et de la taille qui va avec. Ca n'avait aucune forme d'importance, de toute façon. Bref. Toujours est-il qu'elle n'avait pas l'air particulièrement ravie du voyage.

Il ricana gentiment.

"Pardon Majesté. La prochaine fois, je vous enverrai une lettre cachetée trois semaines avant pour vous prévenir, afin que vous puissiez prendre vos dispositions."

Moé était de toute évidence moins timide que Shoula. Judas la regarda planter le palmier en papier comme une petite plante colorée. C'était mignon, ce petite drapeau tout fier, mais un peu petit. Une fois de plus, il eut envie de s'amuser un peu. Il lui semblait parfois que sa vie entière était une gigantesque blague, et faisait tout pour qu'elle le reste.

Imperceptiblement d'abord, puis plus vite, le palmier de papier se mit à grandir. Le cure dents qui lui servait de tronc s'épaissit et s'allongea, des branches portant de petits parapluies fermés émergèrent. Quand l'ensemble eut atteint une taille satisfaisante d'environ 2 mètres, il ouvrit lentement les mains. Les centaines de petits parasols multicolores s'épanouirent ensemble. C'était charmant. Il contempla un instant son oeuvre, puis se retourna vers Shoula.

"Bon, assez rigolé. Est-ce que tu es la Shoula dont les marins parlent ? La soeur de l'elfe du capitaine ? Tu sais où ils sont ?"

Réalisant que tout cela devait semblait bien obscur à Moé, malgré la douce lumière colorée qui émanait de l'arbre, il prit un air inspiré et résuma l'histoire en deux mots.

"Je cherche le capitaine des pirates, Nathaël Krey. Il paraît qu'il est tout petit, et qu'il se balade avec un elfe de compagnie tout rose. Je voudrais lui proposer mes services, mais ça fait plusieurs mois que je lui cours après, et pas moyen de mettre la main dessus. Je suis moi-même pirate, même si j'ai toujours deux yeux et aucune jambe de bois à mon actif."

C'était à peu près ça. Il passa sur les détails, notamment le fait que Nathaël était techniquement son maître, ce genre de points insignifiants.

"D'où je venais? Bah... de chez moi"

Superbe réponse s'il en était, elle était un peu perturbée par la question mais finalement répondit plus clairement

"C'est un peu compliqué en fait...Je viens du clan de la forêt et j'en suis pas sortie depuis plus de deux ans et....me suis perdue"

Shoula regarda la montagne d'un air pensif, elle était venue chercher son frère et elle trouvait deux personnes avec qui elle parlait...depuis combien de temps elle n'avait pas parlé à des inconnus? Quelle étrange sensation, agréable, douce...comme un nuage.
Judas en profita pour répondre aux attaques des deux jeunes filles:

"Pardon Majesté. La prochaine fois, je vous enverrai une lettre cachetée trois semaines avant pour vous prévenir, afin que vous puissiez prendre vos dispositions."

"Trois semaines hein? Précise surtout bien à quel moment de la journée dans ce cas là, sinon je ne pourrais pas les prendre, mes dispositions."

Elle regarda Moé poser le petit palmier au sol, comme pour marquer leur passage et esquissa un petit sourire. Judas, dans sa mentalité provocatrice, décida de montrer une autre parcelle de ses pouvoirs et fit d'un parasol, une multitude gigantesque, elle partit dans un petit rire amusé avant de se stopper et de mettre sa main devant sa bouche d'un air pensif. Depuis combien de temps n'avait elle pas rit comme ça? Elle ne se souvenait même plus. Elle commençait à apprécier la compagnie de ces deux personnes quand sa prédiction se révéla correcte, ce qui se fit par l'intermédiaire de Judas

"Bon, assez rigolé. Est-ce que tu es la Shoula dont les marins parlent ? La sœur de l'elfe du capitaine ? Tu sais où ils sont ?"

Elle le regarda d'un air surprit et méfiant, un pirate? Il sembla se rendre compte tout à coup que Moé ne devait pas être au courant de tout et esquissa une explication

"Je cherche le capitaine des pirates, Nathaël Krey. Il paraît qu'il est tout petit, et qu'il se balade avec un elfe de compagnie tout rose. Je voudrais lui proposer mes services, mais ça fait plusieurs mois que je lui cours après, et pas moyen de mettre la main dessus. Je suis moi-même pirate, même si j'ai toujours deux yeux et aucune jambe de bois à mon actif."

La jeune fille haussa un sourcil et épousseta sa robe avant de prendre la parole d'un air nonchalant

"Est tu un simple pirate ou bien le génie des pirates? Je pencherais plutôt pour la seconde proposition moi. Je ne peux pas savoir si c'est bien de moi dont ils parlaient, mais oui je suis la sœur d'un elfe qui traine un peu trop avec le capitaine des pirates, toutefois, le raccourci "elfe du capitaine" me parait très désobligeant."

Shoula eut un petit soupir, décidément elle ne serrait jamais débarrassée des pirates...mais si c'était la seule façon pour elle de retrouver son frère...

"Et à la question de savoir où ils se trouvent, je ne le sais pas, par contre, je sais qu'ils sont de retour depuis peu sur l'île...les cartes me l'ont appris et c'est pour ça que je suis sortie de la forêt, je veux retrouver mon frère et le ramener à la raison et dans son foyer"

Elle se tourna vers Moé qui devait avoir un peu de mal à suivre la tournure que venait de prendre les évènements.

"Je vais t'expliquer à ma façon. Mon frère et moi somment les enfants de l'actuel dirigeant du clan de la forêt, donc appelés à occuper des fonctions importantes, ce qui n'as pas empêché mon frère de partir avec ce très cher Nathaël Krey que cherche Judas."

Elle mit ses bras autour de ses genoux, baissant un peu la voix, plus pour masquer l'étranglement qui commençait à lui nouer la gorge

"Ils sont partis...et moi j'ai attendu, toute seule...et cette nuit, pour la première fois, j'ai rêvé de leur retour...en me levant, j'ai tiré les cartes qui m'ont annoncé des changements et des rencontres, sans me préciser s'il s'agissait de gens que j'avais déjà vu ou non. J'ai pensé à mon frère...quand je vous ai rencontré, j'ai cru m'être trompée mais apparemment non, donc sans savoir où ils se trouvent, je peux affirmer qu'ils ne sont pas loin"

Car évidement, Kami était avec Nathaël...sinon ça serait bien trop simple... Elle regarda Moé avec une mine un peu boudeuse

"J'espère ne pas t'avoir ennuyé avec mon histoire, si c'est le cas, je suis désolée"

Nouvelle blague judaesque, le palmier que j'avais planté dans la terre quelques instants plus tôt était devenu en un rien de temps une sorte d'arbre non identifié, exhibant fièrement ses parasols en guise de feuilles. Je lâchai un petit sifflement admiratif.

« Eh bien. Et ça donne quoi comme fruits ? »

Judas et Shoula se lancèrent ensuite dans une conversation qui pris une direction inattendue. Il était question d'un capitaine pirate et d'un elfe, dont je n'avais jamais entendu parler, et qui, manifestement, étaient des connaissances en commun. Diantre, que le monde est petit !

Judas sembla s'apercevoir que leur discussion me dépassait complètement, et se tourna vers moi afin de m'expliquer de quoi il était question.

"Je cherche le capitaine des pirates, Nathaël Krey. Il paraît qu'il est tout petit, et qu'il se balade avec un elfe de compagnie tout rose. Je voudrais lui proposer mes services, mais ça fait plusieurs mois que je lui cours après, et pas moyen de mettre la main dessus. Je suis moi-même pirate, même si j'ai toujours deux yeux et aucune jambe de bois à mon actif."

Judas était donc pirate ! C'était bien la dernière chose à laquelle je me serais attendue. Je devais cependant reconnaître que, si j'avais beaucoup entendu parler de ces écumeurs des mers, je n'en avais jamais rencontré, n'ayant jamais fréquenté les côtes (chose à laquelle il faudrait d'ailleurs que je remédie prochainement). L'explication de Judas m'éclaira néanmoins sur les quelques points dont ils discutaient.

"Est tu un simple pirate ou bien le génie des pirates? Je pencherais plutôt pour la seconde proposition moi. Je ne peux pas savoir si c'est bien de moi dont ils parlaient, mais oui je suis la sœur d'un elfe qui traine un peu trop avec le capitaine des pirates, toutefois, le raccourci "elfe du capitaine" me parait très désobligeant."

Un génie, elle avait bien dit un génie ? Sa question me laissa dubitative. Moi qui avait vécu toute mon enfance dans le désert, les quelques conteurs et troubadours qui avaient enjolivé nos soirées auprès d'un feu nous avaient fait parvenir de nombreuses légendes à leur sujet. Un génie pour chaque clan, un exauceur de souhait, un être hors du commun... Néanmoins, je n'avais toujours pris ces racontars que pour la façon dont ils m'avaient été présentés : des légendes. J'avais toujours cru qu'il s'agissait des jolies histoires pour émerveiller les enfants, nullement de réalité. Cette option me semblait maintenant tout à fait vraisemblable, au vu des pouvoirs que Judas nous avait dévoilés. L'expression de surprise qui était apparue sur mon visage trahissait certainement mon ignorance.

Shoula, à son tour, se retourna vers moi, clarifiant une fois de plus les choses.

"Je vais t'expliquer à ma façon. Mon frère et moi sommes les enfants de l'actuel dirigeant du clan de la forêt, donc appelés à occuper des fonctions importantes, ce qui n'as pas empêché mon frère de partir avec ce très cher Nathaël Krey que cherche Judas."

Je la gratifiai de sa réponse par un hochement de tête, et en profitai pour ancrer le nom de "Nathaël Krey" dans ma mémoire. Il s'agissait apparemment d'un nom important, et je ne doutais pas d'en entendre à nouveau parler par la suite.

La gorge de Shoula se serra lorsqu'elle se mit à évoquer des évènements de toute évidence douloureux pour elle, trahissant une certaine émotion dans son récit. Je saisissait mieux à présent ce dont il était question, et ne put m'empêcher de ressentir une pointe de compassion pour la jeune fille, bien que je ne sus absolument rien de ce qui lui était arrivé. La rencontre entre Judas et Shoula était extraordinaire, si l'on y pensait. Des coïncidences pareilles, ça n'arrive pas tous les jours.

"J'espère ne pas t'avoir ennuyé avec mon histoire, si c'est le cas, je suis désolée"

« Allons, on n'a pas idée de s'excuser pour cela ! Ton histoire m'intéresse, et la coïncidence est remarquable... »

Je n'avais jamais eu de frère (ou peut-être en avais-je un, je ne le saurais jamais), j'ignorais donc tout du lien qui semblait unir Shoula à son frère, néanmoins je sentais au ton de sa voix qu'il s'agissait de quelque chose d'important pour elle. Une jeune fille en quête de son frangin, on ne voyait pas cela tous les jours, surtout d'un si jeune âge.

Je me tournai vers Judas.

« Vous cherchez tous les deux à rejoindre les mêmes personnes. Conjuguez vos pouvoirs et vos savoirs respectifs, sans doute y parviendrez-vous. »

Notamment pour quelqu'un qui avait la capacité de se déplacer en un rien de temps, il était étonnant que ses recherches n'aient pas encore abouti. Ce capitaine devait sans doute être fort difficile à repérer. Bien qu'étant totalement étrangère à cette histoire, je devais reconnaître qu'elle m'intéressait. Tout d'abord, par le hasard prodigieux qui avait fait que je m'étais retrouvée en la compagnie de l'un et de l'autre. Eut-ce été un roman que je n'aurais demandé qu'à lire la suite.

Tout en écoutant la conversation, je grimpai au "palmier" (si l'on pouvait encore l'appeler ainsi) et m'assis sur une de ses branches-parasol. Non pas que je fusse incommodée par ma petite taille - on s'habitue. Positionnée ainsi, je sentais clairement les secousses de la montagne à travers tout mon corps. La montagne était en mouvement perpétuel, à la façon d'un grand bateau amarré dans le ciel, remué par le remous des vagues. J'observai alternativement Judas et Shoula, me positionnant ainsi en position d'écoute plus qu'autre chose, consciente que ce que j'entendais me dépassait. Mais quelle histoire !

Judas haussa les épaules. Il n'y avait pas pensé. Peut-être l'arbre allait-il donner des boules de glace ? Ou des palmiers plus petits ? Peut-être même des confettis !

"Est tu un simple pirate ou bien le génie des pirates? Je pencherais plutôt pour la seconde proposition moi. Je ne peux pas savoir si c'est bien de moi dont ils parlaient, mais oui je suis la sœur d'un elfe qui traine un peu trop avec le capitaine des pirates, toutefois, le raccourci "elfe du capitaine" me parait très désobligeant."

Le génie se racla la gorge, ne sachant pas trop comment réagir. Effectivement, il était le génie des Pirates. La plupart du temps, il était bien content que cela se sache, surtout que ça lui donnait un accès illimité à la cale où le rhum était entreposé, le pirate situé à l'entrée et censé empêcher les soulards de pénétrer dans le saint des saints était bien trop terrorisé par Judas pour oser s'opposer à lui.
Pour une fois, il aurait préféré continuer à faire ses petits tours de passe-passe et à s'amuser sans avoir à s'expliquer. Curieusement, les gens attendaient des génies qu'ils soient des gens sérieux et responsables. N'importe quoi !

"Ouais, je suis effectivement Génie. C'est pour ça que je cherche le capitaine, d'ailleurs. Et désolé pour toi, mais ton frère est vraiment un elfe de compagnie. Et il n'est même pas lié à Krey par un pouvoir ou un serment stupide, contrairement à moi."

Par la suite, il regretta un peu son comportement. Shoula avait vraiment l'air triste pour son frère, et s'inquiétait pour lui. Il y avait sûrement de quoi, d'ailleurs. A ce qu'il avait cru comprendre, l'elfe suivait le capitaine partout, dans les aventures les plus absurdes et les plus dangereuses.

Moé semblait particulièrement impressionnée par la coïncidence, et trouvait ça formidable. Lui, nettement moins. Il aimait la compagnie des femmes, mais surtout quand celles-ci avaient dépassé la puberté. En dessous, il trouvait cela vaguement immoral. Et s'il devait s'encombrer d'une gamine dans ses recherches, il ne risquait pas de pouvoir draguer avant longtemps, les pères célibataires n'étant pas franchement à la mode au sein de la gent féminine.

D'un autre côté, elle semblait avoir des pouvoirs intéressants, que lui-même n'avait pas de façon naturelle. Il pouvait prédire l'avenir de son maître si celui ci le lui demandait, mais en temps normal ce pouvoir n'était pas accessible.

« Vous cherchez tous les deux à rejoindre les mêmes personnes. Conjuguez vos pouvoirs et vos savoirs respectifs, sans doute y parviendrez-vous. »

"Oui ça pourrait être une idée. Genre tu les localises, je nous transporte où ils sont, j'embarque le Capitaine et tu retournes vivre dans les branches avec ton frangin. Ca peut se faire"

Il regarda Moé grimper dans le frêle arbre de papier. Fallait-il l'emmener elle aussi ? Après tout ça ne l'intéressait sûrement pas plus que ça, de rencontrer le capitaine et son elfe. Ca ne coûtait rien de proposer.

"Bon, il se fait tard, je propose qu'on dorme ici, sauf si vous avez croisé un palace en venant, et demain on décidera de ce qu'on fait. Shoula, c'est toi qui vois si tu peux les localiser ou pas. Moé, ben, je sais pas, tu veux venir avec nous ? Je m'engage à faire apparaître des trucs marrants si jamais l'endroit est trop horrible."

En attendant la réponse, il se concentra bien fort et pouf ! pouf ! pouf ! pouf ! pouf ! Un feu de camp entouré de gros coussins moelleux apparurent. Il réfléchit un court instant, et ajouta trois couvertures au tableau.

"Si ces mesdames veulent bien se donner la peine..."

Lui-même sauta sur le tas de coussin le plus proche et commença tranquillement à faire griller des shamallows sortis de nulle part.

Au moins, Moë semblait s'amuser, c'était déjà ça, ça aurait été dommage d'ennuyer une si gentille nouvelle compagne. Toutefois, elle fit tiquer Shoula dans ses explications

"Une coincidence hein? Personnellement je n'y crois absolument pas, le destin est quelque chose qui s'amuse des gens, rien n'est du au hasard..."

Jettant un regard morne à l'arbre, elle sembla se perdre sans sa contemplation quelques minutes

"Moi je verrais bien ceci comme fruits"

Elle tendit son maigre bras vers l'arbre et celui ci commença à s'agrementer de quelques petites pommes bien mures, puis plus loin, des poires, puis plus loin des oranges, des pêches et ceci tout autour de l'arbre, une multitudes de fruits minuscules et différents mélangés donnant à l'arbre une douce harmonie de couleurs et d'arômes sans pour autant que le tout fasse ployer dangereusement le fragile édifice.

"Ouais, je suis effectivement Génie. C'est pour ça que je cherche le capitaine, d'ailleurs. Et désolé pour toi, mais ton frère est vraiment un elfe de compagnie. Et il n'est même pas lié à Krey par un pouvoir ou un serment stupide, contrairement à moi."

Elle se tourna alors vivement vers Judas, ne relevant même pas qu'elle avait deviné juste sur la nature du génie. Ouvrant la bouche pour répondre, elle s'arréta et la referma avant de détourner la tête pour qu'on ne voit pas les larmes qui naissaient dans ses yeux. La conversation continua sans elle

« Vous cherchez tous les deux à rejoindre les mêmes personnes. Conjuguez vos pouvoirs et vos savoirs respectifs, sans doute y parviendrez-vous. »

"Oui ça pourrait être une idée. Genre tu les localises, je nous transporte où ils sont, j'embarque le Capitaine et tu retournes vivre dans les branches avec ton frangin. Ca peut se faire"

Elle haussa les épaules, toujours sans regarder Judas, semblant trouver l'arbre très passionnant d'un coup. Timidement, elle en tira une mini-pêche bien juteuse qu'elle mordilla. Derrière elle était apparut les derniers effets de la magie du Génie mais elle ne put se résoudre à en profiter. S'asseyant par terre, elle regardait le ciel, complètement absorbée par sa contemplation, et cherchant comment localiser son frère sans pour autant passer par le mode "esprit de la nature", trop contraignant pour elle.

*Je peux proceder par élimination je pense*

Elle ferma les yeux et entra en transe, là où elle pouvait communiquer avec les esprits de la nature.
Parcourant sa douce forêt natale, elle apprit qu'aucun étranger n'y avait pénétré. Elle voulut se laisser aller à une petite visite mentale chez elle. Reconnaissant sa maison, elle y glissa son esprit, parcourant à travers les arbres chaque pièce. Presque sans avoir fait exprès, elle arriva dans celle de son père. Son regard vif était si percant qu'elle crut qu'il l'avait repérée mais il regardait à coté, un autre arbre avec laquelle il semblait en conversation. Elle ne pouvait entendre les mots qu'il prononçait mais ses expressions lui apprirent que c'était apparement quelque chose de très commun pour lui. Il devait parler avec sa femme, la mère de Shoula... Sentant que sa présence était de trop, celle ci allait se retirer pour chercher ailleurs quand son père s'écroula d'un coup, portant l'une de ses mains au niveau de sa poitrine

"Non!"

Ce choc avait rompu la transe et renvoyé très brutalement la petite fille dans son corps d'origine. Elle regarda autour d'elle, complètement affolée. Judas et Moé la regardait sans très bien comprendre. Elle reprit sa respiration. Son cerveau marchait à toute allure, que fallait'il faire maintenant? Retourner à son chevet? Même ses pouvoirs de guerisseuse n'étaient pas suffisant pour lutter contre la vieillesse. Retrouver son frère...pour qu'au moins, ils soient ensemble pour lui dire un dernier au revoir.

"Judas...je suis désolée mais le temps presse, on ne peux pas attendre demain, il faut qu'on les retrouve maintenant"

Elle sortit de sa poche son jeu de cartes fétiche, héritage de sa mère et indicateur de vérité.

"Je ne peux pas le retrouver comme ça, si je devais éplucher chaque endroit de l'île où la nature a ses droits, je n'en aurait pas fini a temps"

Elle commença à tirer précipitement quelques cartes de son jeu avant de souffler dessus et de fermer les yeux, son impatience était sa plus grande ennemie mais elle devait faire avec. Les cartes luirent légèrement avant de reprendre leur aspet originel. Posant sa main dessus, elle tremblait mais les retourna.

Le sable, l'eau, les amoureux, le double, le sang.

"Nathaël et Kami sont bien ensemble, il n'y a aucun doute à avoir dessus, et probablement avec quelqu'un d'autre, sans que j'arrive à en définir la nature. Ils ne sont pas dans le domaine des pirates mais dans un endroit où il y a du sable et de l'eau. Est ce que ça vous dit quelque chose?"

"Une coincidence hein? Personnellement je n'y crois absolument pas, le destin est quelque chose qui s'amuse des gens, rien n'est du au hasard..."

J'acquiesçai à la déclamation de Shoula, je n'en étais pas moins d'un avis tout autre.

« Il a bon dos, le destin. Je n'y ai jamais cru, c'est tout de même terrible de se dire que tout est pré-programmé, non ? Je préfère les hasards fabuleux aux histoires préécrites. Enfin, c'est un autre débat, la seule chose qui est sûre, c'est que nous sommes tous ici, quelles qu'en soient les raisons. »

Assise sur ma branche, j'attrapai une poire, à portée de main, que Shoula avait fait apparaître quelques instants plus tôt, et mordis dedans. Peu importaient les circonstances, après tout. Être en compagnie de ces deux curieux personnages, assise sur une branche-parasol en train de manger un fruit apparu on ne sait comment était suffisemment inédit pour moi pour que cela me convienne. J'étais une adepte des occasions, des instants précis, des surprises. Du moment que l'ennui ne s'installait pas, on pouvait dire que tout me convenait. Et il y avait fichtrement longtemps que l'ennui n'était pas venu me rendre visite !

"Oui ça pourrait être une idée. Genre tu les localises, je nous transporte où ils sont, j'embarque le Capitaine et tu retournes vivre dans les branches avec ton frangin. Ca peut se faire"

Après cette déclaration qui sonnait comme une proposition pour Shoula, Judas, à ma grande surprise, se tourna vers moi.

"Bon, il se fait tard, je propose qu'on dorme ici, sauf si vous avez croisé un palace en venant, et demain on décidera de ce qu'on fait. Shoula, c'est toi qui vois si tu peux les localiser ou pas. Moé, ben, je sais pas, tu veux venir avec nous ? Je m'engage à faire apparaître des trucs marrants si jamais l'endroit est trop horrible."

J'esquissai un sourire.

« Eh bien, pourquoi pas ! J'en profiterai au passage pour essayer de me montrer d'une quelconque utilité »

Bien que je n'eus strictement rien à voir avec leur histoire, l'idée de me joindre à eux quelques temps ne me déplaisait pas. L'expérience promettait d'être amusante, et c'était là un argument de choix, notamment si Judas s'engageait à égayer un peu les choses. Par ailleurs, je devais reconnaître que je n'étais pas désintéressée. L'histoire de l'un et de l'autre m'intéressait à la façon d'un livre, d'un déroulement dont j'étais témoin, ni plus ni moins. Mais également, une certaine curiosité pointait en moi. Un capitaine pirate et un "elfe de compagnie", hein ? On verrait bien de qui il s'agissait !

Sur ces mots, Judas fit apparaître un confortable campement en un rien de temps. Je jetai mon trognon de poire par-dessus mon épaule, me laissai glisser le long de l'arbre en papier, et m'assis sur un coussin près du feu. Judas avait déjà commencé à faire griller des chamallows, qui dégageaient une odeur de sucre et de caramel. Sans doute me serais-je permis d'en faire de même, si je ne m'étais pas rendue compte que Shoula avait adopté une posture étrange. Ses yeux étaient grands ouverts, néanmoins elle semblait totalement absente. Je levai un sourcil.

Elle sembla tout d'un coup s'éveiller, comme affolée, et regarda partout autour d'elle. Je compris que, d'une façon ou d'une autre, elle s'était réellement absentée pendant quelques instants. Fébrile, elle annonça d'un ton affolé à Judas qu'il fallait partir dès à présent. J'observai la scène, ouvrant un oeil étonné. Elle sortit alors un jeu de cartes qu'elle répartit d'une main qui démentait l'expérience de ce genre de pratique.

"Nathaël et Kami sont bien ensemble, il n'y a aucun doute à avoir dessus, et probablement avec quelqu'un d'autre, sans que j'arrive à en définir la nature. Ils ne sont pas dans le domaine des pirates mais dans un endroit où il y a du sable et de l'eau. Est ce que ça vous dit quelque chose?"

Il y avait un genre de détresse dans sa voix, que j'avais du mal à saisir. J'écoutais néanmoins, et ne répondis rien à son interrogation. Je ne savais rien de la mer. Je profitai de l'occasion pour attraper à mon tour un chamallow que je laissai fondre sous ma langue. La scène avait quelque chose de décalé : une jeune fille qui prenait soudain des airs de prophétesse, et Judas et moi, juste à côté, confortablement installés, en train de faire griller des chamallows.

« Pourquoi est-il si urgent que vous les retrouviez maintenant ? La nuit tombe, et tout capitaine et elfe qu'ils soient, ils iront boire un pot, piquer un somme et n'auront pas bougé d'ici demain. »

Je reconnais que j'avais du mal avec les mélodrames, je ressentais donc le besoin de nuancer un peu cette détresse précipitée que semblait ressentir Shoula. Une note d'ironie perçait donc dans ma voix. Ce n'en était pas moins une interrogation. D'où tenait-elle cette certitude qu'il était nécessaire de partir dès maintenant ?

Judas regarda Shoula qui essayait de localiser l'elfe et le capitaine en mâchonnant tranquillement un chamallow. Il remit le bâton dans le feu avec un nouveau bonbon qui s'était de toute évidence matérialisé directement sur le pic.

Il portait le chamallow à sa bouche quand Shoula ressortit d'un coup de se transe, et en criant par dessus le marché. Surpris, il se brûla violemment la langue.

"Aïe ! Ca va pas la tête ?"

Il râlait pour la forme. Le temps de finir sa phrase, son métabolisme de génie avait déjà fait le nécessaire pour faire disparaître la brûlure. Judas reporta son attention sur Shoula, qui semblait décidément bien agitée pour un être de si petite taille.

"On se calme. Pourquoi est-ce qu'on devrait partir ce soir ? On n'est pas bien là ?"

La jeune fille ne répondit pas, et commença à tirer les cartes avec précipitation. Judas jeta un coup d'oeil interrogateur à Moé, qui n'avait pas l'air plus avancée que lui, bien entendu. Lui-même avait tendance à mépriser les gens qui avaient besoin d'accessoires pour faire usage de leur pouvoir. Il décida toutefois de garder cette réflexion pour lui, d'autant qu'apparemment cela donnait des résultats.

"Nathaël et Kami sont bien ensemble, il n'y a aucun doute à avoir dessus, et probablement avec quelqu'un d'autre, sans que j'arrive à en définir la nature. Ils ne sont pas dans le domaine des pirates mais dans un endroit où il y a du sable et de l'eau. Est ce que ça vous dit quelque chose?"

Le génie leva les yeux au ciel.

"On appelle ça une plage, quand il y a du sable et de l'eau. On ne vous apprend donc rien dans votre forêt ?"

Il réfléchit aux différents endroits de Neverland où il y avait des plages, en dehors du domaine des Pirates. Voyons voir. Pas tant que ça, à priori. Dans les îles indépendantes, et aux limites du désert. C'était à peu près tout. Ah si, il y avait aussi le lac de cristal. Et l'oasis au milieu du désert, si elle ne s'était pas asséchée depuis la dernière fois.
Pf. Ca faisait beaucoup, finalement.

« Pourquoi est-il si urgent que vous les retrouviez maintenant ? La nuit tombe, et tout capitaine et elfe qu'ils soient, ils iront boire un pot, piquer un somme et n'auront pas bougé d'ici demain. »

Il adressa un sourire reconnaissant à Moé. Voyager de nuit et avec plusieurs personnes était toujours difficile, et les atterrissages souvent difficiles. Il lui était déjà arrivé de se retrouver à plusieurs centaines de mètres de son objectif parce qu'il faisait trop sombre pour y voir quoi que ce soit.

"Je dois dire que je suis bien d'accord avec Moé. A cette heure ci le capitaine est sûrement saoul comme un cochon. Je ne vois pas en quoi attendre jusqu'à demain changerait quoi que ce soit."

D'un claquement de doigts il raviva le feu. Lui-même n'avait pas froid, mais il s'inquiétait pour les deux filles. Si l'une d'elles chopait un rhume, on ne s'en sortirait jamais. Il avala une gorgée de rhum et tendit la flasque à Moé, au cas où.

Quelle situation étrange en effet, une jeune fille essayant de faire arrêter un pique-nique composé de chamallows apparaissant selon les besoins à l'abri d'un arbre de papier de 2m de haut où poussait des versions miniatures de toute sorte de fruits. Peut être que dans d'autres circonstances, elle en aurait rit. Mais là pas du tout...

"Ce n'est pas d'eux deux dont vient le problème...C'est...il faut qu'il rentre..."

Les indications qu'elle avait donné n'était apparemment pas suffisantes au vu des réponses qu'elle en obtint

"Je SAIS ce qu'est une plage, et bien sur que si qu'on nous apprend des choses dans la forêt mais je ne pense pas qu'il s'agisse d'une plage justement. Et t'es pas obligé de dénigrer mon clan comme ça!"

Elle allait continuer mais voilà que sa transe recommença sauf que ce coup ci, ses jambes se dérobèrent et elle serait tombée si les coussins n'avaient pas été là pour amortir sa chute.

Encore le même endroit, mais ce coup ci, elle n'était pas esprit d'un arbre, elle était ectoplasme, une vision du futur...Sa voix, elle entendait faiblement la voix de son père et une autre, qu'elle aurait reconnu entre mille bien qu'elle ne l'avait pas entendu depuis deux longues années... Son frère, il était de retour, rien que pour cela, elle serait restée éternellement dans se rêve tandis que des larmes coulaient de ses joues. D'autres silhouettes étaient présentes mais elle ne put toutes les distinguer, juste la sienne, reconnaissable entre toutes au vue de sa petite taille et de son diadème. La connexion se rompit encore une fois

"Mon père va mourir, demain, où dans une semaine mais dans peu de temps il va mourir. Je croyais que j'étais en train de localiser mon frère... J'ai eu une vision qui s'est mêlée à ma recherche"

Sa voix était plus un murmure qu'une vraie explication, se relevant, elle regarda Judas

"Je me suis un peu emportée, je suis désolée"

Elle s'asseya sur les coussins et essaya de prendre une voix enjouée

"Oui vous avez tous deux raison, dormons, ça ne sert à rien de se précipiter"

Cruelle vérité s'il en était, elle voulait courir de toutes ses forces, essayer d'empêcher ce qui allait forcément se produire mais elle n'avait aucune chance...Il avait déjà failli mourir une fois et avait été sauvé par le pirate qu'elle détestait le plus au monde. Ce coup ci, il ne pourrait rien changer. Si sa vision disait qu'elle serait aussi au chevet de son frère, ça voulait dire qu'ils le retrouverait demain. Mais dans ce cas là, pourquoi lui avoir imposé cette vision maintenant? Comment trouverait elle le sommeil sachant ce qui allait se produire? Mais elle ne pouvait rien dire de tout cela à ses compagnons de route, ce n'était pas leur histoire après tout.
Elle enfourna sa tête sans les coussins de sorte qu'on ne voit plus son visage et elle se mit à pleurer silencieusement, les jours qui allaient arriver étaient très durs...encore plus quand on le savait en avance malheureusement.

Judas et moi semblions d'accord sur ce point : mieux valait passer la nuit ici. Pour des raisons de commodité, tout d'abord. Et on n'allait tout de même pas abandonner si vite un si beau campement.

La soirée commençait tout juste, et amenait avec elle son lot de chamallows et... de rhum. Judas me tendit la flasque. La dernière fois que j'avais touché à de l'alcool, ce devait être quelques semaines plus tôt, dans une taverne. Autant dire il y a une éternité. Je remerciai Judas d'un signe de tête, bus une longue gorgée, et lui rendis la flasque. J'aimais l'alcool, ou plus particulièrement, la chaleur qu'il produisait, la sensation délicieuse de l'alcool qui descend dans la gorge. En revanche, je n'y connaissais absolument rien. Judas aurait pu me donner un breuvage de mauvaise qualité, coupé, au goût altéré, que je n'aurais sans doute rien senti.

Shoula, de son côté, semblait tenir fermement à partir dès maintenant aux trousses des deux personnages, bien qu'elle fût incapable d'expliquer clairement ses raisons. S'ensuivit une petite querelle entre Judas et la jeune fille, que j'observai sans intervenir. L'ironie constante du génie semblait déconvenir à Shoula.

D'une façon tout aussi soudaine que la fois précédente, Shoula sembla se déconnecter du monde qui l'entourait, tomba sur les fesses et resta immobile, totalement absente. Elle avait l'air habitée. Tout comme la première fois, elle sortit de cette phase de transe, pleine de convictions étranges.

"Mon père va mourir, demain, où dans
une semaine mais dans peu de temps il va mourir. Je croyais que j'étais
en train de localiser mon frère... J'ai eu une vision qui s'est mêlée à
ma recherche"

Eh bien, que d'urgences ce soir. Tout cela serait sans doute bien difficile à gérer pour Shoula, qui avait toutes les peines du monde à garder son calme. Je ne parvenais pas à saisir l'étendue de ce qui se passait dans son esprit, sans doute cela avait-il une certaine gravité. Au contraire, j'avais l'humeur plutôt badine ce soir. Il y avait longtemps que je n'avais pas eu de compagnie - surtout de telle compagnie - et l'envie de prolonger la soirée me tentait. Shoula aurait sans doute bien du mal à laisser ses émotions sur le côté, néanmoins, un peu de détente, ça ne peut faire de mal à personne !

"Oui vous avez tous deux raison, dormons, ça ne sert à rien de se précipiter"

Le dépit était perceptible dans sa voix. Mais nous aurions tout le temps de nous en occuper demain, tout n'en serait que plus efficace.

« Qui a parlé de dormir ? » fis-je avec un sourire.

Allons bon, voilà qu'elle se remettait à délirer. Cette fille était décidément bizarre. Presque plus bizarre que lui.

"Mon père va mourir, demain, où dans une semaine mais dans peu de temps il va mourir. Je croyais que j'étais en train de localiser mon frère... J'ai eu une vision qui s'est mêlée à ma recherche"

Ah, effectivement, c'était embêtant. Du moins il supposait que c'était embêtant. Judas avait une perception de la mort complètement déformée par son grand âge et son statut d'immortalité. Sans compter qu'il était quasiment impossible de le tuer, il avait très peu de chances d'être un jour confronté à sa propre mort. Par conséquent, il avait souvent du mal à être triste quand on lui annonçait que quelqu'un allait mourir sous peu.

"Euh je vois pas bien ce qu'on peut faire. Chez les indiens, il y a sûrement des gens qui peuvent le guérir, non ?"

Judas pouvait guérir pas mal de maladies bénignes, ou réparer des plaies béantes, mais quand on était vieux, on était vieux, un point c'est tout.

Heureusement Shoula semblait avoir compris qu'il était difficile de partir maintenant. Ca ne semblait pas la réjouir pour autant. Un peu embêté, Judas regarda à nouveau vers Moé, au cas où celle-ci aurait la solution au problème. Apparemment pas.

Il abandonna ses chamallows, s'assit à côté de Shoula et après un moment d'hésitation, lui caressa doucement les cheveux pour la calmer.

"Ca va aller. T'inquiète pas, on va retrouver tout le monde, tu iras voir ton père avec ton frère et moi j'irai boire du rhum avec le capitaine et Moé si elle est d'accord."

Au bout d'un moment, les sanglots s'apaisèrent. Judas ne savait pas trop si elle s'était endormie ou si elle avait seulement arrêté de pleurer, mais il se sentit mieux. Les gens qui pleurent, c'est un peu comme les cadeaux ratés : on n'ose pas s'en débarasser, mais on ne voit pas bien quoi en faire.

Il ramena soigneusement la couverture sur elle, retourna près du feu et fit apparaître une deuxième brochette à chamallows qu'il tendit à Moé.

"Bon, on fait quoi maintenant ? Je suppose qu'il faut que tu dormes, de temps en temps, non ? Ou alors tu pourrais me raconter d'où tu sors. On a encore quelques heures devant nous avant qu'il fasse à nouveau jour."

Il arrosa un des bonbons de rhum dans l'espoir d'en faire un chamallow flambé. L'ensemble flamba effectivement très bien, produisant de longues flammes vertes qui laissèrent un petit morceau de sucre carbonisé au bout du bâton. Raté.

Shoula eut un rire amer à la proposition de Judas

"Les indiens? Manquerait plus que ça, si mon père devait encore se faire soigner par quelqu'un d'un autre clan, je crois que sa première action serait de se donner la mort alors franchement c'est pas la peine. Et de toute façon, on ne guérit pas de la vieillesse. En plus, ils ne sont pas de si bons guérisseurs que ça."

La dernière phrase avait été prononcée de sa voix faible mais agrémentée d'une pointe de fierté qui s'effaça très vite devant le poids du chagrin. Cachée dans ses coussins, elle sentit une main sur sa tête essayant d'apaiser et entendit la voix de Judas lui donner des paroles rassurantes...depuis combien de temps n'avait elle pas flanché comme ça? Elle ne put retenir ses sanglots, la colère, la solitude, c'était comme si elle voulait tout faire sortir d'un coup, cachée par ces coussins.

Puis elle s'épuisa, les larmes se firent de plus en plus rares avant de s'effacer complètement. Elle sombra dans une sorte de demi-sommeil où elle entendait ce qui se passait autour d'elle sans pouvoir autant réagir.

Elle entendait Moé et Judas parler, suivait leur conversation avec intérêt mais en même temps, elle était ailleurs, autre part. Ce qu'elle n'avait pu faire par la voix de la nature, elle allait y arriver par celle des rêves, connectée à l'île entière elle cherchait son frère, passant de rêves en rêves.

Judas eu le geste, certes inattendu, mais qui donnait une toute autre dimension au personnage, d'aller vers Shoula et, d'une voix qui se voulait rassurante, fit de son mieux pour la calmer et lui permettre de trouver le sommeil. Il caressa doucement ses cheveux.

"Ca va aller. T'inquiète pas, on va retrouver tout le monde, tu iras voir ton père avec ton frère et moi j'irai boire du rhum avec le capitaine et Moé si elle est d'accord."

Judas était, décidément, très porté sur le rhum. Cela ne manqua pas de me faire sourire. Après tout, une pinte de temps en temps n'avait jamais fait de mal à personne ( quoique ? ). Les évènements commençaient à prendre une tournure appréciable. Cette rencontre hasardeuse menait visiblement à la quête de deux personnes qui m'étaient totalement inconnues, et se finirait très certainement dans une taverne. Cela me convenait, de plus je devais reconnaître que Judas et Shoula avaient éveillé ma curiosité quant au capitaine pirate et à son "elfe de compagnie", comme disait l'autre.

Shoula sembla rassurée par les paroles de Judas, et, peu à peu, se décrispa. Son corps se détendit, s'afaissa, elle semblait enfin se laisser aller au sommeil. D'ailleurs, en parlant de sommeil, la journée avait été chargée pour moi également. J'étais une couche-tard par nature, et l'envie de dormir me venait rarement avant une ou deux heures du matin, pourtant je commençais déjà à ressentir les effets de la fatigue.

"Bon, on fait quoi maintenant ? Je suppose qu'il faut que tu dormes, de temps en temps, non ? Ou alors tu pourrais me raconter d'où tu sors. On a encore quelques heures devant nous avant qu'il fasse à nouveau jour."

« Dormir... Oui, ça m'arrive, en effet. »

Je pris la brochette de chamallows qu'il me tendait ( une éternité que je n'avais pas mangé de sucreries ! j'avais oublié comme c'était bon ) et mordit dans le premier chamallow, puis j'entrepris de répondre aux questions du génie. J'aurais d'ailleurs moi-même pu lui en poser un nombre inombrable ! il s'agissait après tout d'un génie, et moi qui n'avait jamais eu l'audace de croire à leur existence, je ne demandais à présent qu'à en savoir plus. Je ne lui demandai néanmoins rien à ce sujet. Il était évident que j'allais encore voir beaucoup de choses, si l'on faisait effectivement un bout de route ensemble.

« Je suis née dans le désert. Du moins, je crois. C'est en tout cas là-bas que j'ai grandi, dans le clan des Nomades, avec une caravane d'itinérants. J'aime le désert autant que tu sembles aimer le rhum, mais l'extérieur m'appelait. Voilà trois ans que j'arpente le pays. Je n'ai aucun objectif en soi, je ne demande qu'à découvrir et à être surprise. »

J'aurais eu mille histoires à lui raconter à propos du désert, des légendes, de ce que j'avais vu sur ma route depuis 3 ans. La sensation d'avoir vu des choses uniques vous donne immédiatement l'envie de les raconter et de les insuffler à votre entourage. J'avais cependant décidé de résumer rapidement ma situation, comme il me l'avait demandé. Je trimballais mon vécu comme un livre intérieur, une richesse perpétuelle, néanmoins je lui accordais bien moins d'importance qu'à l'avenir. Il était bien plus enthousiasmant de se consacrer aux jours prochains qu'au passé. Inutile, donc, de m'épancher sur mon vécu. Nous verrions bien ce que tout cela donnerait !

Je mangeai encore quelques chamallows, et me rendis compte que chacun de mes membres se faisait lourd. ( La fatigue vous rattrape toujours au mauvais moment ). Je me redressai, m'étirai longuement.

« En fin de compte, je suis plus épuisée que je ne le croyais. J'espère que tu ne te seras pas volatilisé quand je me réveillerai, comme tu sais si bien le faire, je demande à voir ce qui va se passer ensuite ! Bonne nuit, merci pour les chamallows. »

Je m'allongeai près du feu, m'installai sur la couverture et me roulai en boule, à la façon d'un chat ( position permettant de dormir partout, n'importe quand, n'importe comment ).

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